Édito n°31
Un dialogue social en berne
« En 2005, 70 % des salariés du privé déclaraient avoir eu une visite avec un médecin du travail ou une infirmière au cours des douze derniers mois ; ils ne sont plus que 39 % en 2019. On ne compte aujourd’hui qu’un inspecteur du travail pour près de 11 000 salariés, ce qui limite fortement leur influence. » Les chiffres que cite le sociologue Arnaud Mias dans sa tribune publiée l’été dernier dans le journal Le Monde sont édifiants. Nous avons donc voulu approfondir cette question avec cet observateur privilégié du monde du travail (lire notre interview exclusive, pages 30 à 31).
« On est entré dans le modèle de la hâte. » Pour ce sociologue, qui emprunte cette notion aux chercheurs en ergonomie Corinne Gaudart et Serge Volkoff, le mal est profond. La remise en cause des rythmes collectifs ne serait même plus une question pertinente au sein des entreprises, tout comme d’ailleurs le postulat selon lequel les femmes accomplissent les tâches les plus répétitives et pénibles… On chercherait des réponses individuelles, « voire personnelles », souligne Arnaud Mias qui dénonce un pilotage des managers par les chiffres qui en oublieraient leur « fonction d’appui » au profit d’une « supervision à distance ». Le sociologue constate que le dialogue social est en berne. Les salariés n’osant plus prendre la parole ne sollicitent plus, ou trop rarement, les représentants du personnel ou les organisations syndicales.
Conséquence : « ce que l’on n’arrive pas à assumer dans notre système de prévention des risques professionnels se déporte sur le régime général de l’Assurance maladie », via les maladies professionnelles et l’absentéisme au travail. L’ensemble de la société a donc intérêt à ce que l’on rebatte les cartes de la santé au travail en France au plus vite si l’on ne veut pas voir imploser le système.
Nicolas Lefebvre